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De la tendance à sous-estimer les besoins de correction, de ses conséquences et des remèdes possibles !

Vous êtes client (auteur, éditeur, etc.) ou correcteur, en passe de lancer des travaux de correction. Êtes-vous sûr d’avoir bien évalué les besoins du texte à corriger ? Cette étape essentielle n’est pas à négliger : il ne faudrait pas passer à côté d’un enjeu linguistique ou éditorial… au risque sinon d’entraîner de fâcheuses conséquences ! Comment éviter de tels ennuis ? Je vous indique ici quelques garde-fous et remèdes, illustrés par le cas concret d’une expérience vécue.

Au fond des pots sont les bons mots.

Le Livre des proverbes français, 1842

Le passage d’une commande de relecture-correction et l’établissement du devis sur lequel elle s’appuie induisent la même nécessité pour le relecteur-correcteur et pour son client : il leur faut d’abord cerner les besoins de correction du texte : sur quoi la correction doit-elle porter ? Quelle doit-en être la profondeur? Doit-elle impliquer une part de réécriture ?

La relecture-correction, à quoi ça sert ?

Il est tentant, pour le correcteur comme pour le client, de se fier à l’idée que ce dernier se fait spontanément de ces besoins. Après tout, qu’il en soit l’auteur ou l’éditeur, il le connait bien, ce texte – et à ce stade, bien mieux que le correcteur ! Le client a donc son point de vue sur le texte, d’où son attente d’un type de correction, parfois très arrêtée. Remettre en question celle-ci ne semble pas opportun de prime abord. La demande initiale est là : pourquoi chercher plus loin ? Autant aller au plus simple, non ?

Eh bien non, définitivement, non, je le déconseille absolument ! Pourquoi ? Parce que cela peut rapidement se révéler périlleux pour le correcteur comme pour son client !

Les multiples visages des besoins sous-évalués

En effet – et c’est largement vérifié par la pratique – la tendance dominante des clients est de sous-estimer ces besoins.

Très souvent, ils méconnaissent l’ampleur ou la variété des corrections à apporter à leur texte. Il est ainsi fréquent qu’ils ignorent l’existence (et l’intérêt !) des règles typographiques – ce qui est naturel et compréhensible s’ils ne travaillent pas dans l’édition. À charge du correcteur de leur expliquer en quoi consiste la typographie et ce qu’elle va apporter à leur texte. Il peut aussi arriver qu’ils surévaluent un besoin (ex : l’orthographe, pressenti comme catastrophique alors qu’il n’est pas si mauvais…) tout en passant complètement à côté d’une insuffisance pourtant bien plus gênante (ex : des problèmes de lisibilité, de compréhension ou de structure).

Voici d’autres exemples de sous-estimation des besoins :

  • Un client pense que la relecture amateure qu’il a fait effectuer en amont a suffi à corriger l’ensemble des fautes d’orthographe et de grammaire (c’est malheureusement rarement le cas) et qu’il peut donc en dispenser le correcteur professionnel (or, dans les faits, celui-ci pourra-t-il vraiment ignorer les fautes restantes ?) ;
  • Un autre ne mesure pas à quel point la syntaxe est malmenée dans son écrit (il faut dire qu’en lecture rapide, les erreurs syntaxiques ne sautent pas forcément aux yeux) ;
  • Un autre encore ne sait pas que le rôle du correcteur est aussi de faire des vérifications (concernant des titres d’ouvrages et d’articles, des citations, des liens internet, des termes scientifiques ou spécialisés, etc.). Or, son texte assez technique est truffé de tels éléments…

Quelles solutions pour corriger votre texte ?

Bref, si le correcteur se fie uniquement à la demande initiale de son client, le risque est grand que la réponse apportée par son devis soit très éloignée des nécessités réelles du texte à corriger…

Or, ce risque induit forcément des désagréments :

  • Si le correcteur s’en tient à l’intervention prévue alors que le texte appelle une intervention plus poussée, le client risque in fine d’être déçu par le résultat (rien de pire que le sentiment d’avoir “investi pour rien” !), tandis que le correcteur peut avoir le sentiment d’avoir fourni un travail incomplet, ou même d’avoir failli à sa mission (rien de pire qu’une production dévalorisée et un client insatisfait !) ;
  • Si le correcteur, une fois engagé dans sa prestation et par souci de produire un travail de qualité, prend en charge les besoins réels de correction de façon plus ou moins informelle et spontanée, il s’expose au risque de ne pas être payé à la hauteur du travail fourni. Le temps réellement consacré à sa mission n’étant alors pas normalement rémunéré, cela peut potentiellement mettre en péril la viabilité de son activité. Cette situation peut arriver lorsque correcteur ne fait pas de devis complémentaire/rectificatif pour entériner les besoins réels (par exemple parce qu’il lui semble délicat de revenir sur sa première proposition). Elle peut aussi se produire lorsque le client ne valide pas ce second devis (par exemple par manque de budget, ou parce qu’il reste persuadé que la première estimation est la bonne) ;
  • Au-delà de la question des moyens financiers disponibles, le fait de devoir « rallonger » un budget par rapport à des prévisions ou à un premier engagement déjà enregistré comptablement, peut entraîner pour le client des complications administratives ou politiques dont il se serait bien passé ;
  • Si le correcteur assume cette charge de travail supplémentaire (même validée budgétairement par le client), alors que les délais prévus initialement ne sont pas modifiés pour en tenir compte, en découle un surcroît de travail, non prévu dans son agenda, induisant des difficultés d’organisation ou une surcharge, qui peuvent lui être préjudiciables.

Effectivement, le fait d’avoir mal évalué les besoins au départ peut être la source d’une quantité d’embêtements ! Or, pour bien évaluer ces besoins, il faut se donner le temps et les moyens de le faire. À commencer par une prise de connaissance concrète du texte par le correcteur.

Pour illustrer mon propos, voici une histoire vécue il y a quelques mois :

Il s’agissait de relire et corriger le texte d’un ouvrage pratique d’environ 80 pages, fruit des travaux d’un collectif d’auteurs. Novices dans ce type d’exercice, ces auteurs venaient d’univers très éloignés des métiers de l’écrit. Ils faisaient appel à mes services dans le but de présenter à leurs partenaires une version plus « propre » de leur texte.

1. L’avis initial de mon client sur ses besoins de correction

Mon client, représenté par l’un des auteurs, pensait qu’une correction simple suffirait, vu qu’il avait déjà fait effectuer par une « personne forte en français » une relecture du texte dans son ensemble. Il annonçait en outre que cette première relecture avait aussi permis de chasser les tournures et expressions orales, inappropriées au support écrit. Enfin, une relecture au plan technique de certaines parties de l’ouvrage, par des personnes averties, avait permis d’en étoffer les contenus.

2. Réévaluation des besoins avec mon premier devis

Sachant que la plupart des textes ont besoin d’une correction approfondie et que les relectures amateures ne l’offrent généralement pas, je l’expliquais à mon client. Je lui proposais, avant d’établir mon devis, d’effectuer une analyse des besoins de correction à partir d’extraits du texte, qu’il me fournit.

Il en ressortit avant tout qu’il y avait de nombreux problèmes de construction de phrases (syntaxe) et d’incorrections (formulations ou vocabulaire), ainsi que des problèmes de liaisons au sein du texte. Celui-ci souffrait d’incohérences et d’un manque de fluidité (sans doute lié à son écriture collaborative à plusieurs mains). Les normes typographiques n’étaient pas du tout connues, ni appliquées, ce qui impliquait un gros travail de standardisation et d’harmonisation à effectuer. Secondairement, subsistaient malgré la première relecture amateure, des coquilles et des fautes de grammaire et d’orthographe (notamment dans les accords). Cette analyse me permit de confirmer qu’il fallait bien une relecture-correction approfondie, que j’intégrais à mon devis n°1.

En parallèle, il me parut évident que le client gagnerait à ce que le texte soit mieux mis en forme, surtout s’il voulait convaincre ses partenaires. En effet, la mise en forme de départ (qui relevait du « document de travail ») était si brouillonne et chaotique qu’elle portait fortement atteinte à la lisibilité et à l’attractivité du texte. Je proposais donc à mon client de réaliser une prestation supplémentaire de mise en forme du texte et de mise en page du document (en format word), que je mis en option dans mon devis n°1 (et qui fut retenue par mon client, soulagé d’être déchargé de cette tâche).

3. Maturation mutuelle et établissement d’un deuxième devis

L’établissement du premier devis a permis d’ouvrir l’échange et la réflexion sur des prestations complémentaires à la correction. Mon client m’a ainsi demandé si je pouvais réaliser quelques schémas didactiques, pour synthétiser certains contenus. De mon côté, en approfondissant la discussion et l’analyse, je me suis aperçue que mon client aurait besoin d’un peu de conseil éditorial pour le guider dans sa démarche. C’était utile également pour orienter la mise en forme du texte.

Ces éléments nouveaux sont venus enrichir un devis n°2 : c’est finalement ce second devis qui a été validé par le client. J’ai donc démarré la prestation avec l’aval de mon client concernant l’ensemble des besoins mis en lumière. Seul désagrément pour moi : les délais de réalisation, déjà serrés initialement, n’ont quasiment pas bougé, le client étant soumis à un impératif de date. J’ai donc dû empiéter quelque peu sur mes jours et heures de repos pour assumer ma mission élargie.

4. Apparition de nouveaux besoins pendant le travail de relecture-correction

Malgré cet effort d’ajustement du devis, des besoins que j’avais ignorés ou sous-estimés sont apparus pendant le travail de correction :

  • Le poids des tournures orales, plus lourd que je ne le pensais, a demandé une réécriture plus conséquente que prévu. Cela relevait cependant toujours de la prestation de correction approfondie prévue par le devis ;  
  • Quelques carences rédactionnelles ont appelé une intervention non prévue, la reformulation et/ou rédaction de chapeaux introductifs (soit une correction avec réécriture poussée) : en effet, certaines parties comportaient des éléments de langage restés à l’état brut d’idées non rédigées. Il s’agissait d’en faire de réelles introductions (de quelques lignes), plus complètes et mieux écrites, amenant un contenu et donnant envie de le lire. Bien que ce travail ne soit pas prévu, je l’ai proposé à mon client, dans un souci de qualité, en lui présentant des exemples. Ça lui a plu et il en a reconnu l’intérêt. On ne pouvait cependant plus revenir sur le budget engagé. J’ai quand même fait le choix d’écrire ces brèves introductions, en offrant à mon client cette prestation complémentaire, au titre d’une offre de bienvenue. L’enjeu de qualité était suffisamment fort, la situation s’y prêtait et le geste commercial était justifié. Naturellement, cela aurait pu ne pas être le cas dans d’autres circonstances !

Comment expliquer que je n’ai pas repéré ces besoins lors de mes premières analyses et devis ? Sans doute parce que j’ai réalisé ceux-ci sur la base d’extraits du texte à corriger : non exhaustifs, ceux-ci, bien qu’ils soient assez représentatifs, ne témoignaient pas de tous les problèmes existants. Surtout, je n’avais pas alors de vision globale de l’ouvrage, me permettant d’en saisir tous les enjeux éditoriaux.

Quelques conseils pour conclure :

Que vous soyez client ou correcteur, vous avez certainement compris l’importance pour vous que les besoins du texte à corriger soient bien estimés, avant de vous engager dans une commande.

Bien-sûr, vos idées ou ressentis en la matière peuvent vous donner de premières indications. Il est cependant préférable de vous baser sur une analyse concrète du texte par un professionnel de la correction, portant si possible sur l’ensemble du texte, a minima sur un extrait (suffisamment fourni et représentatif). Disposer de cette analyse, c’est bénéficier du recul d’un regard compétent et extérieur sur le texte.

Même en prenant cette précaution, il n’est malheureusement pas toujours possible de détecter certains besoins avant que le travail de relecture et correction soit commencé. Cela induit parfois des situations délicates, avec une tension entre recherche de qualité, respect du budget et respect du calendrier.

On peut limiter ce risque en étant méthodique, vigilant et à l’écoute. Par exemple, vous pouvez opter en amont du devis pour la réalisation d’un test de correction “grandeur réelle” sur un extrait ciblé (-> voir ici le test que je propose). En ce cas, n’oubliez pas en parallèle de prendre en considération le fonctionnement d’ensemble du texte ! Surtout, prenez le temps d’échanger, entre client et correcteur, sur la dynamique du projet éditorial : quels sont les enjeux éditoriaux de l’ouvrage, qui sont ses auteurs, quelle est l’histoire de sa conception, quelles difficultés ont été rencontrées lors de sa rédaction, etc. Cela permet bien souvent de déceler les besoins cachés du texte…

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