De quel bois est faite une correctrice ? De quelle étrange matière ? Qu’est-ce qui l’habite ? Serait-ce une drôle de créature ? Je tente ici d’en faire le portrait, nourri par mon regard et ma sensibilité. Après l’avoir lu, aurez-vous envie de me connaître ? Peut-être… ou peut-être pas ! Une chose est sûre : cela vous donnera un aperçu de ce métier méconnu, au travers d’un parti pris. Aussi, cela vous renseignera sur la façon dont j’essaie d’épouser les contours de ce métier.
Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.
René Char, Les Chants de la Balandrane, 1977.
1. Un regard, aussi vigilant qu’averti
La correction s’appuie en premier lieu sur une relecture. Or, cette relecture n’est pas la lecture habituelle ! Elle implique une attention et une vigilance particulière pour repérer toutes les erreurs, incorrections, oublis, approximations, confusions ou défauts de construction qui peuvent affecter un texte.
Ces éléments à améliorer se situent aux différentes échelles de la construction du texte : du caractère au document dans son ensemble, en passant par la phrase, le paragraphe, le chapitre, etc. Il faut en général deux à trois lectures (parfois plus) pour pouvoir tous les repérer. Ces lectures se placent sur plusieurs plans, techniques et critiques.
Ce travail de repérage demande beaucoup de concentration, ainsi qu’une expertise et une pratique. Une correctrice, c’est donc d’abord un œil aiguisé !
2. Une obsession du détail
Quand on corrige un texte, tout est important, il ne faut rien laisser au hasard : le moindre point, la moindre espace (« la »? Oui, car en typographie, ce mot est féminin !), la moindre approximation, la plus petite liaison, la plus infime rupture de rythme ou de sens… Majuscule ou minuscule ? À moins que ce ne soit une capitale ? Et le tiret, est-ce bien le bon ? Cette expression, qui fait presque illusion, n’emprunte-t-elle pas à deux autres locutions ? Cette répétition fait-elle sens et génère-t-elle un dynamisme ou bien alourdit-elle inutilement le texte ? Ce barbarisme est-il inexcusable ou relève-t-il de la licence poétique – ou du concept scientifique ?
Il faut être un peu obsédée et tout-à-fait perfectionniste pour être correctrice. Il faut aussi aimer les mots, savoir se prendre d’intérêt, voire de passion, pour leurs significations, leurs formes, leurs agencements, leurs relations (et même leurs absences !).
3. Une capacité à se couler dans le texte
Relire et corriger le texte d’une autre personne, c’est être capable d’entrer dans ce texte. Il faut s’imprégner de son vocabulaire, de son rythme, de son esprit et de son style. Mais aussi accéder à son entier propos ou à l’âme de son récit.
Chaque auteur/rédacteur a ses qualités, qu’il faut comprendre et respecter, de façon à y adapter les corrections apportées. Celles-ci doivent être justes dans tous les sens du terme ! Il faut ainsi savoir reconnaître et préserver les jeux de mots, les erreurs volontaires, les singularités d’un auteur… Quel que soit le degré d’intervention, il faut toujours respecter la pensée de l’auteur et ne jamais trahir le contenu sur lequel on travaille.
Suivant la nature du document produit, il faut aussi savoir se conformer aux exigences de différentes formes d’écriture (scientifique, technique, administrative, communicante, littéraire…), ainsi qu’à la ligne éditoriale ou à la charte graphique qui ont été définies. L’intégration d’un vocabulaire spécifique, propre à une discipline ou à un sujet peut aussi être nécessaire.
Une correctrice est donc à la fois très souple et très carrée : elle a beaucoup de déontologie et de rigueur, une bonne dose de culture générale, une pointe de curiosité et une large ouverture d’esprit !
4. Une plume assurée mais discrète
La relecture-correction peut comporter une part de réécriture, plus ou moins importante selon les besoins. Même lorsqu’elle est très limitée ou ponctuelle, celle-ci implique de disposer de bonnes compétences rédactionnelles : maîtrise de la langue écrite, tant dans la forme que dans le fond, aisance et fluidité de la plume… Elle appelle aussi une capacité d’adaptation, de façon à se couler dans l’univers du texte et dans le style de son auteur (cf élément n°3).
Ainsi, si la plume de la correctrice doit être sûre, elle doit toujours rester discrète. Ses corrections nécessairement pointilleuses peuvent bousculer l’auteur, à condition qu’il puisse se les approprier. Son intervention doit rendre le texte plus clair et plus évident pour le lecteur, sans que ce dernier en voie la trace.
La réécriture, qu’elle soit partielle ou plus complète, doit mettre en valeur le contenu voulu par l’auteur, tout en s’effaçant devant celui-ci. En dépouillant le texte de ses scories, la correctrice met en lumière les qualités stylistiques de l’auteur. Pour mieux révéler la singularité du texte, elle en chasse les anomalies. Une correctrice met ainsi sa justesse et sa précision au service d’autrui.
5. Le doute incarné
Une correctrice doit constamment tout remettre en question, n’être sûre de rien, tout vérifier : l’orthographe et la grammaire bien-sûr, si riches en exceptions, mais aussi les données historiques et scientifiques (citations, dates, bibliographies, sources, etc.). Savoir se documenter et rechercher des informations fait donc partie du savoir-faire de ce métier. Et ce n’est pas tout !
Il y a aussi les soupçons d’incohérences internes au texte, les doutes concernant l’usage inhabituel d’un mot. Un contexte inédit peut bousculer une règle établie… Et que dire de la recherche du bon mot, du bon rythme ? Quid des libertés, heureuses ou risquées, prises avec le français par l’auteur d’un texte ? Quelles règles suivre quand elles sont relatives, voire caduques depuis peu ?
Corriger c’est constamment douter, parce que c’est le seul moyen de s’inviter à la vérification, encore et toujours. Le crédo de la correctrice : se méfier de ses propres certitudes.
→ Quelles solutions pour corriger votre texte ?
→ La relecture-correction : pour qui et pour quels documents ?